Le Palais de Justice de Bruxelles (1883) est plus vaste que Saint-Pierre de Rome. Faute d’entretien et d’adéquation aux exigences d’une justice moderne, ce colosse néo-antique alliant architecture fantasque et démesure est aux trois quarts vide : les juridictions bruxelloises ont trouvé plus d’aise dans moins de fastes. Des arbustes poussent sur les colonnades ; les seules réfections ont touché… ses échafaudages ! Ce monstre orgueilleux et malade inspire un sentiment mêlant post-apocalypse et ex-impérialisme. L’édifice devait symboliser l’indépendance de la Justice aux yeux d’un peuple sujet d’une monarchie jadis forte. Un triomphalisme excessif l’a rendu inapproprié et inadapté. Deux qualificatifs qui s’appliquent en ce moment aussi – par une symétrie inverse – aux sites qui abritent les juridictions neuchâteloises. Locaux surannés, exigus, mal voire pas sécurisés, à l’isolation phonique médiocre, n’autorisant pas la moindre intimité des échanges, ni l’évitement des contacts.


Sispol, Louis-Favre, Pommier(s), Léopold-Robert, Hôtel-de-Ville, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel, Boudry… où se trouve donc la Justice neuchâteloise ? Elle n’a actuellement aucune visibilité dans la République. Pire, sa fragmentation induit fatalement des pratiques différenciées et met en péril l’exigence d’application uniforme du droit.
Devoir se rendre devant un magistrat, ce n’est pas banal, c’est rarement éprouvé avec légèreté. Fin ou modification du lien, conflit, revendication, justification, confrontation à l’autre, introspection impudique, peur pour ses avoirs, crainte de la décision à venir : rien n’est futile pour le justiciable quand la Justice doit agir. Le personnel judiciaire et les magistrats en ont conscience et veillent à donner une réponse humaine à cette légitime appréhension. Mais manque l’outil : le bâtiment. Une justice de proximité, ce n’est pas un tribunal à moins de dix kilomètres de chez soi. Ce sont des acteurs judiciaires agissant avec diligence, compétence et cohérence. J’aimerais, en tant que sujet de droit, pouvoir me rendre en un lieu avec la certitude que c’est bien celui où je suis attendu, être accueilli et orienté, me sentir en sécurité, m’entretenir confidentiellement avec mon mandataire, ne pas être confronté à l’improviste à l’adverse partie, m’exprimer sur des sujets douloureux là où les murs n’ont pas d’oreilles. 
Le Judiciaire, ce troisième Pouvoir qui dispense un service ô combien régalien, doit enfin acquérir pignon sur rue. Un toit unique pour la poursuite pénale et la première instance, voilà un phare nécessaire, un repère utile, bref un Hôtel judiciaire et judicieux. Ni ornements arrogants ni volumes superfétatoires ; fonctionnel et accueillant pour ses utilisateurs, l’objet permettra de renforcer l’homogénéité des pratiques et la cohérence des décisions. Ne vaut-il pas la peine d’investir dans une demeure sur le fronton de laquelle on pourrait écrire : « Le conflit trouve son épilogue ici » ?

 

10. mai 2017