Dans un contexte bousculé par le terrorisme et confronté, depuis les événements du 11 septembre 2001, à une dangereuse montée des valeurs réactionnaires, populistes et obscurantistes, tentons de saisir pourquoi les « Bisounours » peuvent s’inviter dans le débat et devenir l’une des invectives préférées de nos détracteurs.

En préambule, retenons deux approches philosophiques, celle de Hobbes puis celle de Rousseau, qui n’avait rien d’un Bisounours ! Pour le premier, soumis aux simples lois de la nature donc de « survie », les hommes tâchent de sortir d’un « état de nature ». Sans lois, nous serions en effet d’après Hobbes dans un perpétuel état de guerre. Pour en sortir, il propose que chacun remette ses forces à un représentant tout-puissant. C’est l’État qui doit assurer l’ordre et donc la liberté, en particulier économique.

Un siècle plus tard, Rousseau, pour qui l’homme est fondamentalement bon, critique un aspect central dans l’« état de nature » en affirmant que nous y serions au contraire en paix. Or, la venue de la société est pour Rousseau un malheur. Avec elle apparaissent, selon lui, les inégalités, la convoitise et les guerres.

En résumé, pour Hobbes, nous devons craindre les tendances violentes de l’homme ; pour Rousseau, nous devons éviter d’étouffer la bonne nature de l’homme, avec ces tentations que sont les richesses inégalement réparties.

Sur le plan psychologique et éthologique, l’être humain comporterait deux caractéristiques : le côté fondamentalement agressif, capable comme les chimpanzés de génocides, et un côté véritablement empathique, empli d’amour, comme les bonobos qui font l’amour six fois par jour en moyenne !

En conséquence, la gauche serait trop naïve, elle ne tiendrait pas assez compte de l’agressivité naturelle et la droite serait trop méfiante, elle ne tiendrait pas assez compte des tendances sociales naturelles des individus. Dès lors, il deviendrait impossible de se positionner politiquement à gauche ou à droite si l’on refuse de s’engager pour un parti qui ignore la moitié de la nature humaine !

Cette conclusion hâtive ferait la part belle à celles et ceux qui proclament « la mort des idéologies », mais cette allégation constitue une proclamation comme une autre. Car s’autoproclamer « ni de gauche ni de droite » ne sera jamais que vouloir rester du côté du manche, du côté des privilégiés, du côté de celles et ceux qui espèrent un monde inchangé.

A contrario, être de gauche, c’est saisir le monde dans sa complexité et ne pas céder à la simplicité en divisant les humains, mais poursuivre l’effort de rassemblement, d’égalité et de liberté.

En d’autres termes,
« On n’est pas dans le monde des Bisounours » est paradoxalement l’argument favori des personnes qui pensent que le monde est aussi simple que celui des petits oursons auxquels ils nous assimilent : d’un côté les « méchants »,
à exclure physiquement ou symboliquement, et
de l’autre les « gentils », dont ils font évidemment partie !

13. avr 2018