Le 16 mars 1937, L’Action française publie en première page un « Hommage suisse à Charles Maurras » en l’honneur du polémiste royaliste qui se trouve alors en prison pour avoir, à réitérées reprises, appelé à tuer Léon Blum, « cette raclure de juif », ce qui lui a valu une condamnation à huit mois d’emprisonnement ferme, le 21 juillet 1936, pour provocation au meurtre.


Le premier signataire de cette singulière adresse est Pierre-Eugène Bourquin (1918-1965), alors âgé de 19 ans, avec cette dédicace : « à la mémoire de mon père, assassiné par le Front populaire ». Il s’agit d’une allusion aux incidents survenus à La Chaux-de-Fonds le 25 janvier 1937, à l’issue d’une conférence de l’ancien conseiller fédéral Jean-Marie Musy (1876-1952), organisée par la Jeunesse Nationale (JN) dont le chef, le médecin Eugène Bourquin (1886-1937), a succombé à une crise cardiaque lorsque ses partisans se sont heurtés aux manifestants antifascistes empêchés d’entrer dans la salle de la Maison du Peuple où avait lieu la conférence.

Quatre-vingt policiers cantonaux et communaux étaient mobilisés pour l’occasion. Débordés, ils firent usage de bombes lacrymogènes, ce qui augmenta encore l’intensité des affrontements. Bourquin essuya des horions de la part de quelques antifascistes mais, selon une expertise judiciaire, ces coups ne sont pas la cause principale de la mort du chef fasciste, dont le cœur et les poumons étaient gravement malades.

L’occasion était trop belle pour ceux qui souhaitaient depuis longtemps interdire le Parti communiste en Suisse, ce qui était précisément le thème de la conférence de Jean-Marie Musy. Aussi, dès le lendemain des incidents, la presse de droite se déchaîna dans tout le pays et même à l’étranger. Selon quelques récits particulièrement fantaisistes, Bourquin aurait été roué de coups, couvert de sang et piétiné ou aurait même succombé à des coups de feu… Comme quoi le sensationnalisme ne date pas d’aujourd’hui !

Des funérailles quasi officielles

Le 28 janvier, ce sont des funérailles quasi officielles qui se déroulent à La Chaux-de-Fonds. Le ton est donné par l’annonce mortuaire publiée dans L’Impartial du 27 janvier 1937 et signée par 21 partis politiques et organisations allant des Amis du Château de Colombier aux Vieux Zofingiens, en passant par la Société des Officiers et le Cercle du Sapin. Les signataires « invitent tous les citoyens à conserver [du Dr Bourquin] le souvenir d’un homme de cœur et d’énergie, qui a donné le meilleur de ses forces à sa profession, à sa ville aimée et à son pays » et souhaitent que « les exemples de vaillance et de civisme qu’il a constamment donnés au cours de sa carrière de médecin et d’homme politique resserrent nos liens et exaltent notre foi et notre courage ».
Un cortège funèbre placé sous les ordres du colonel Franz Wilhelm et comprenant, si l’on en croit la Feuille d’avis de Neuchâtel, plusieurs milliers de participants, parcourt l’avenue Léo-pold-Robert jusqu’au Temple national où se déroule la cérémonie, avant de prendre le chemin du crématoire. L’ordre du cortège, ouvert par un peloton de gendarmes dont le commandant de la police cantonale, « en grand uniforme et sabre au clair », a pris la tête, est détaillé dans L’Impartial et la Feuille d’avis du 29 janvier. Le Conseil d’État, indique le quotidien chaux-de-fonnier, « a tenu à faire un geste démontrant qu’il entend être du côté des partis de l’ordre » en assistant in corpore aux obsèques du défunt député. Le gratin du fascisme suisse romand figure aussi en bonne place dans le cortège, avec Géo Oltramare et ses lascars de l’Union nationale que six autocars ont amenés de Genève.

Au temple, le pasteur Barrelet compare le sort de Bourquin à celui d’Abner, lâchement assassiné par Joab après son ralliement à David, avant d’évoquer « l’attitude de Jésus-Christ qui, bafoué, maltraité est mort sans haine ». Au nom de la Jeunesse Nationale, Julien Girard rappelle que la devise de son chef était de « toujours servir la Patrie, la religion, la famille et la profession ». Max Reutter, président cantonal du Parti libéral, proclame que Bourquin « a vécu pour défendre le drapeau suisse contre les emblèmes de haine » et qu’« il est mort en défendant encore la croix blanche sur fond rouge ». Puis Jean-Marie Musy fait l’apologie du défunt « en termes élevés » et congratule « un peuple [qui] sait honorer ses héros ». Enfin, l’avocat Pierre Favarger exalte avec éloquence ce « martyr d’une grande cause, d’une cause véritablement nationale et véritablement neuchâteloise » dont le nom figurera désormais au martyrologe « des nombreuses victimes de la lâcheté et des coups que l’humanité renouvelle depuis Golgotha ».

Les suites politiques et judiciaires

À l’initiative des partis bourgeois et du Conseil d’État, le Parti communiste est interdit dans le canton de Neuchâtel par une loi du 23 février 1937, approuvée en votation populaire le 25 avril suivant. Cette loi comporte notamment des interdictions professionnelles frappant des fonctionnaires et des enseignants, ainsi que la déchéance de tout mandat public pour les membres du parti.
Plusieurs manifestants antifascistes avaient été arrêtés et incarcérés le soir même de la mort du Dr Bourquin. Au terme d’une instruction rondement menée par le juge Georges Béguin, 46 prévenus furent renvoyés devant le Tribunal de police de La Chaux-de-Fonds. Le procès dura trois jours, du 5 au 7 juillet 1937, et ce ne sont pas moins de 220 témoins qui furent entendus par le tribunal ! Finalement, le président Etter prononça quarante condamnations allant de deux mois d’emprisonnement à des amendes de 10 à 40 francs, cependant que six prévenus étaient acquittés, faute de preuve.

POUR EN SAVOIR PLUS

Venez nombreux, mercredi 25 janvier 2017, à 20 h 15, à la Brasserie de la Fontaine (premier étage), Avenue Léopold-Robert 17, à La Chaux-de-Fonds, pour assister à une conférence de l’historien neuchâtelois Marc Perrenoud :
Les événements du 25 janvier 1937 à La Chaux-de-Fonds et les luttes politiques des années 1930
Entrée libre. 

14. déc 2016