
Le franc fort a pour source la spéculation, c’est-à-dire l’activité boursière sans aucun rapport avec la vie réelle de la population. Les conséquences d’une politique monétaire laissant faire, autrement dit, à ce stade, encourageant la spéculation, sont pourtant très réelles.
Et ces conséquences, à Neuchâtel plus qu’ailleurs, nous les avons endurées dans notre chair. Oui, pour assurer les dividendes et les bonus de quelques banquiers zurichois, on prend aujourd’hui comme hier le risque de détruire la Suisse qui crée et qui exporte. Je pense bien sûr au tourisme et à l’industrie, je pense à l’horlogerie, je pense donc à l’Arc jurassien. N’ayons pas la mémoire courte ! La grande crise horlogère, celle qui a transformé notre canton en périphérie paupérisée des grands centres urbains, a d’abord eu pour fondement le franc fort. Dans les années 1970, la monnaie suisse est devenue le refuge des spéculateurs, inquiets des répercussions du choc pétrolier dans un monde privé depuis peu de la stabilité que procurait la parité or des accords de Bretton Woods.
Aujourd’hui, les causes sont différentes, mais les effets à long terme risquent d’être identiques : la récession, avec son lot de chômage et de pauvreté. Sans jouer les Cassandre, comment exporter nos montres si elles renchérissent massivement du simple fait des fluctuations boursières ? Comment maintenir un secteur industriel si le contrat signé hier avec une marge raisonnable devient déficitaire par la seule offensive de grands fonds d’investissement en bourse ? Bref, comment l’horlogerie peut-elle survivre, prise entre le marteau de la concurrence et l’enclume du franc fort ?
Les solutions existent, mais elles sont politiques, loin du laissez-faire décrété par le conseiller fédéral Schneider-Amann. Parmi les mesures qui peuvent changer structurellement la donne, il en est une, refusée dans les années 1970, qui aurait pu sauver bien des emplois : l’assurance publique à l’exportation, limitée aux industriels, qui permettrait, moyennant souscription d’une police d’assurance, d’exporter à un taux de change prédéfini. Grâce à cette mesure, les entreprises pourraient anticiper plutôt que subir et bénéficier d’au moins une certitude en cas de fluctuation extrêmement violente du taux de change, comme celle que nous avons vécue quand la BNS a abandonné le taux plancher.
Cette solution, comme d’autres, nécessite le courage politique de lutter contre le tout-puissant lobby bancaire. Elle impose l’honnêteté intellectuelle de reconnaître à l’État le droit d’intervenir de manière mesurée et proportionnée dans l’économie. Elle implique enfin d’affirmer une fois pour toutes la prépondérance de l’économie réelle sur la spéculation. Le Parlement fédéral n’a pas eu cette audace il y a quarante ans. Nous ferons tout pour qu’il l’ait aujourd’hui.