Les auteurs de l’initiative insistent sur le fait qu’il ne faut pas s’arrêter aux questions financières, mais considérer le principe. Soit. Je vous renvoie à Domaine public pour les aspects pratiques et m’attelle au principe. Il est effectivement des plus basique : toute personne vivante touche de sa naissance à sa mort une somme devant lui permettre de mener une vie digne.
On passe donc d’un système solidaire, basé sur les besoins, à un système purement individuel. Finie l’époque des actifs cotisant pour les retraités, des valides pour les invalides, des travailleurs pour les chômeurs, chacun a une part égale, qu’il en ait ou non besoin. Et peu importe l’usage qu’il en fait, ça ne nous concerne plus. C’est là qu’on voit que l’initiative a quelque chose de libéral. Et cette impression va se préciser.
En effet, les initiants tiennent de beaux discours, altruistes, philanthropiques, parlent de « révolution ». L’allocation « libérera les travailleurs » de l’obligation d’accepter tout travail, ils pourront baisser leur taux d’occupation. Mais en fait, ça ne sera vrai que pour ceux qui peuvent aujourd’hui déjà se le permettre. Un travailleur précaire, à qui l’on allouera une somme couvrant à peine ses besoins vitaux, ne sera pas libéré du travail, il n’aura toujours pas le choix face à un salaire de misère. La mère seule, avec ses enfants à charge, restera vendeuse à temps partiel et sous-payée car le RBI se substituera simplement aux compléments qu’elle touchait de l’aide sociale. À vrai dire, en généralisant l’allocation, on généralise la pression sur les salaires.
On le voit, l’application d’une telle allocation prend un tout autre chemin que l’émancipation annoncée. Ce n’est pas une surprise, si l’on considère le discours qui accompagne cette idée. On évoque la mort du plein emploi, sans même envisager le partage du travail, sans voir que si certains secteurs préparent l’automatisation du travail, d’autres se développent où les machines ne remplaceront pas les humains avant longtemps.
Les partisans du RBI développent une ligne de capitulation totale par rapport aux nombreux combats de la gauche pour une juste répartition des richesses, des salaires décents, des assurances sociales performantes ou la diminution du temps de travail.
L’initiative enterre joyeusement des décennies de luttes pour en remplacer les fruits par une distribution générale d’aumônes garantissant la paix sociale à vil prix pour le patronat.
Matthieu Béguelin